Caring Museum : Le Musée de la Marine pour une médiation multi-dimensionnelle, inclusive et sensorielle 

Caring Museum Café du mois de mars 2024 – Compte-rendu et références par Aube Lebel

Découvrez ci-après :  
– les principaux points de ces échanges
– quelques réflexions et outils inspirés par les propos tenus 

Quelle est votre œuvre préférée au Musée de la Marine? 

Ce modèle pédagogique de plus de 5m de long et 4m de haut est emblématique de la notion de transmission : c’était sa vocation initiale, puisqu’il était utilisé pour la formation des officiers de Marine au XVIIIe s. Sur ce modèle, tout était manoeuvrable ! Aujourd’hui, il est aussi le signe du travail de l’ombre des restaurateurs permettant la transmission des œuvres aux générations à venir : plus de 450 heures ont été nécessaires à sa restauration en vue de la réouverture du musée, s’appuyant sur un savoir-faire unique transmis de restaurateur en restaurateur. Enfin, c’est une œuvre qui accueille le visiteur dans les collections : tous les publics s’y arrêtent, souvent fascinés par ses grandes dimensions, et nos médiateurs poursuivent ce travail de transmission auprès de tous.

Maquette de bateau, Royal Louis, vaisseau, vers 1770


Quels ont été vos déclics pour adopter une démarche “care” & inclusive ?
  • Au départ, une expérience en tant que bénévole auprès de publics en situation de précarité sociale ou en situation de handicap : expérience que les lieux culturels peuvent beaucoup apporter aux personnes (lien social, découverte, bien-être, détente, émotion…)
  • Une professionnalisation en tant que chargée de développement des publics du champ social au musée du quai Branly
  • Ce retour d’un jeune, en situation d’illettrisme à la fin d’un projet mené au musée du quai Branly :   “Avant je parlais en baissant la tête, maintenant je regarde les personnes dans les yeux”.

Ce témoignage démontre que le musée est aussi un espace qui peut révéler les personnes, un levier d’émancipation (approche holistique prônée par les Droits culturels). Le “care” doit être dans l’ADN du musée, au sens large : un musée doit prendre soin, pour rester un lieu où on peut se réfugier, s’enrichir, se transformer.
L’un des objectifs ne devrait-il pas que le visiteur ne soit pas tout à fait le même après une visite au musée ?… Que l’on reparte avec le souvenir d’une émotion, d’une rencontre sensible avec une œuvre, d’une découverte de l’Autre ou d’une ouverture sur l’inconnu (le musée ouvre le regard sur ce qui peut être différent : autres formes, couleurs, cultures ou époques…). 


Aube Lebel : Valoriser ce bienfait de la visite au musée, implique nécessairement de revisiter les études des publics et bilans, PSC  demandés aux institutions en complétant les données quantitative et socio-démographiques  de fréquentation par des indicateurs d’impact social et d’émancipation, à même de valoriser  des programmes ciblant les  plus éloignés de la culture >
voir cette boite à outil pour conduire des mesures d’impact pour aller + loin 

Hospitalité, inclusion et accessibilité universelle, un prérequis !

“Il n’y a pas de Care, s’il y a des exclus”.
Prendre soin d’appuie avant tout sur l’inclusion (vraie mission de service public des musées nationaux). Une réelle inclusion – au sens le plus large d’accessibilité universelle –  nécessite de prendre en compte tous les temps de visite. Il faut une inclusion dans la venue au musée, en s’ouvrant à tous les profils de visiteurs (âges, CSP, handicaps…) afin de ne pas être un lieu d’entre-soi où certains ne seraient pas souhaités, mais aussi une inclusion au sein de la visite pour que chacun sente qu’il y a sa place.
Nous avons tous en tête des visites qui peuvent paraître excluantes : pas assez d’assises, contenus illisibles ou trop compliqués, créant parfois des complexes… 

Pour atteindre cette inclusion, deux axes de réflexion sont intéressants : s’interroger sur le rôle social du musée (un lieu où on peut renforcer les liens sociaux, familiaux et intergénérationnels, l’accessibilité…) et sur la rencontre réelle avec l’œuvre (pas une simple compréhension cognitive, car on peut aussi aider le visiteur à entrer en résonance avec une oeuvre, à se sentir transformé par elle, quels que soient ses prérequis…). 

Le travail avec le Groupe d’intérêt spécial (GIS) de l’ICOM CECA sur la “médiation sensible” est éclairant pour prendre en compte la globalité de la personne du visiteur (sa mémoire, ses sens, ses émotions, son imaginaire…) : cela peut véritablement enrichir l’accueil de tous au musée.

AL :  Le “ Museum experience Model” de Falk et Dierking résume bien cette approche multi-factorielle. En savoir + 

Trouver sa place : “Venez comme vous êtes” ! 

L’inclusion commence par permettre à chacun, à son rythme, de trouver sa place, sans mettre à mal ce qu’il est.
“Comment s’habille-t-on pour aller au musée ? ” Question qui peut paraître incongrue à nombre de professionnels, mais qui révèle de profonds sentiments d’illégitimité à fréquenter ce lieu.
D’où ces nécessaires prérequis :

  • Échanger et co-construire avec les publics peu habitués aux institutions culturelles, les associations et structures sociales, pour adapter au mieux l’offre et le discours du musée et limiter tout sentiment d’exclusion ;
  • Promouvoir un accueil inconditionnel, sans jugement : valoriser la parole et une écoute réelle du visiteur, prendre en compte la pluralité des points de vue – cf thématique du workshop cette année du Palais des Beaux-Arts de Lille – même s’ils diffèrent de nos savoirs académiques.
Quels principes ont guidé le renouveau de la médiation au Musée national de la Marine?
Quelques axes :
  • Promouvoir une expérience holistique pour répondre à
    • la diversité des expériences et motivations de visite 
    • Aux spécificités  sensorielles de chacun ( dont celles des neuro-divergents, notamment Tsa) 
  • Aux profils cognitifs d’apprentissage 
  • Croiser les publics, notamment favoriser l’intergénérationnel, une visite partagée en famille 
  • Des dispositifs pour les porteurs de handicaps au bénéfice de tous. L’expérience démontre qu’ils sont aussi des leviers d’engagement pour tous 
  • Promouvoir l’hospitalité, pour que chacun se sente accueilli 
  • Donner envie de revenir et donner envie d’aller voir d’autres musées .
Quels dispositifs sont emblématiques de cette démarche ? 

    1. La Bulle, un espace sensoriel, refuge lors de la visite
    La visite au musée est une expérience d’hyper stimulation sensorielle et cognitive qui peut désorienter et nécessiter des espaces de répit. Cette problématique s’est particulièrement posée pour le Musée de la Marine doté d’une scénographie très immersive, avec plus de 50 dispositifs de médiation, dont la moitié interactifs.

    “Ce nouvel espace de 9m2 s’inspire de la méthode Snoezelen, initiée dans les années 1970 aux Pays-Bas. Il s’agit d’une exploration par les sens pour favoriser la détente, l’éveil, la confiance, au profit de personnes polyhandicapées. 

    Aujourd’hui, cette méthode est utilisée dans des institutions médicalisées (hôpitaux, EHPAD…) ou encore dans des crèches. La création d’un espace inspiré de la méthode Snoezelen, inclusif, sensoriel, permanent et co-conçu avec des publics en situation de handicap, est une première dans un musée. L’espace a été imaginé par le musée national de la Marine, avec l’aide de Corey Timpson Design Inc. et de Prime access consulting, en partenariat avec Careed. Il est conçu par Inclu&sens, impulseur d’espaces inclusifs, et a été co-construit avec des personnes en situation de handicap pour être au plus près de leurs besoins”.
    Plusieurs outils sensoriels sont proposés, pour stimuler les sens : une colonne à bulle,  des objets à sentir,  des objets à toucher,une couverture lestée, des rideaux de LED. Trois scénarios lumineux et sonores sont proposés au choix, pour apaiser via une ambiance calme ou une stimulation sensorielle.”

    Si cet espace s’adresse en priorité aux personnes porteurs de handicap, il est accessible à tous, avec des priorités gérées par un gardien, posté à proximité.
    Depuis la réouverture,  on constate qu’il est investi par tous : famille avec enfants en bas âge en colère, personne âgée …  avec un réel bénéfice perçu par les usagers

    Dans le même esprit, des créneaux de visite sont proposés avec une scénographie adoucie (sons lumières). 

    Voir d’autres applications de la méthode Snoezelen  en crèche ou en Ehpad

    2. Le sac du petit marin , une exploration par les sens 
    “Le sac du marin Le sac du marin est proposé gratuitement aux familles avec enfants de 3 à 5 ans ou présentant un trouble du spectre autistique, pour accompagner leur visite. Il propose un livret illustré à suivre en famille et du matériel sensoriel pour découvrir les collections grâce à huit activités, chacune sollicitant un des 5 sens,  tout en s’amusant ensemble.”

    AL : On peut rapprocher cette approche de la Théorie des intelligences multiples de Gardner qui démontre la nécessité de proposer une variété d’approche, notamment sensorielle pour s’adapter à des profils cognitifs divers. En savoir + : La théorie des intelligences Multiples de Gardner 

      3. Plus de 50 dispositifs de médiation – ½ interactifs
      Des “kiosques” de dispositifs de médiation proposent différents supports qui s’adaptent à une diversité de handicap sans pour autant s’adresser exclusivement aux porteurs de handicap. L’expérience montre que tous les publics s’en emparent et qu’ils favorisent aussi les échanges intergénérationnels.

      Quels sont vos prochains projets ? 

      Nous avons commencé à initier un partenariat avec l’APHP ( service de gériatrie de Charles Foix et le DU culture soin et accompagnement)  pour co-construire des visites mieux être, au sein du musée en s’emparant des leviers de l’olfactothérapie, déjà pratiquée par les soignants ou la relaxation. L’objectif étant de proposer des modes de visites sensibles proposant un ralentissement et une pose bien-être. 

      AL : Pour en savoir + sur les dispositifs olfactifs, écouter cette émission sur France Culture. “Odeurs : les musées jouent avec nos sens”

      Ce type de partenariat va bien au-delà du simple accompagnement des patients au musée. 

      • Une convention Musée-Hôpital comprend des formations du personnel du musée – dont le personnel d’accueil – à la venue de ce public de très grand âge ou atteint de maladies neuro-dégénératives. 
      • Toute une démarche de co-construction des médiations est mise en place avec des phases de test prévues avec le personnel hospitalier et les patients 


      Et vous, quels dispositifs connaissez-vous pour accueillir toute la diversité des publics ?